Gino Odjick et Chris Simon, partis trop vite tous deux à 52 ans
Les deux durs à cuire autochtones avaient beaucoup en commun, incluant des autobiographies planifiées
La planète LNH a été secouée la semaine dernière quand Chris Simon s’est enlevé la vie à l’âge de 52 ans.
Tel que mentionné hier dans un texte publié en anglais, lui et Gino Odjick avaient beaucoup de choses en commun, ce dernier étant un Algonquin de Maniwaki alors que Simon était un Ojibwa de Wawa, en Ontario. Ils étaient tous deux robustes et excellents bagarreurs, mais ils étaient aussi capables de compter des buts.
Avant son décès en janvier 2023 à 52 ans lui aussi, emporté par une rare maladie cardiaque appelée l’amyloidose, Gino m’avait donné la permission d’explorer la possibilité de publier son autobiographie. Je trouvais qu’il avait une histoire inspirante méritant d’être racontée et une maison d’édition québécoise était d’accord, nous étions presque prêts à signer un contrat quand il est décédé. Le «ghostwriter» que j’allais être pour lui voyait son sujet passer au «monde des esprits», comme sa soeur Dina l’a écrit en annonçant la triste nouvelle sur Facebook.
En attendant de voir s’il y aura moyen de raviver le projet éventuellement, je reproduis ici un chapitre qui avait été écrit en collaboration avec Gino et Bob Hartley, son ancien entraîneur avec les Hawks de Hawkesbury au niveau junior A. C’est fait avec la permission de sa famille, et prière de noter que c’est écrit comme si c’était Gino qui parlait.
J’espère que mon collègue Gare Joyce explorera la possibilité d’aller de l’avant avec un projet similaire de biographie de Simon qu’il avait discuté avec lui.
De Kitigan Zibi à Hawkesbury
Le 30 mai 1987, la Ligue de hockey junior majeur du Québec tenait son repêchage annuel à l’Auditorium de Verdun, le Canadien junior utilisant le tout premier choix pour sélectionner un attaquant, Martin St-Amour, tandis que Martin Gélinas, qui allait plus tard être échangé contre Wayne Gretzky, était sélectionné par les Olympiques de Hull au deuxième rang.
Dans les gradins de ce vieil amphithéâtre, il y avait bien d’autres hockeyeurs de 15 et 16 ans, parmi les meilleurs au Québec.
Ne me demandez pas où j’étais ce jour-là, ça fait trop longtemps de ça. Une chose est certaine cependant, j’étais bien loin de cette banlieue de Montréal !
Un défenseur qui jouait pour les Forestiers midget B de Maniwaki la saison précédente n’avait aucune chance d’entendre son nom dans les haut-parleurs lors de cette journée qui se veut mémorable pour bien des jeunes joueurs. Mais pour moi, ce n’était que partie remise, même si je n’en avais aucune idée à l’époque.
Ce week-end-là, il y a de bonnes chances que j’étais dans les bois autour du lac Barrière, à chasser et pêcher dans le parc de la Vérendrye. Les Algonquins y ont une réserve, celle de Lac-Rapide et Kitiganik. C’est à une centaine de kilomètres au nord-ouest de celle où j’ai grandi, Kitigan Zibi Anishinabeg, près de Maniwaki.
Comme je n’avais aucun avenir au hockey, c’est pas mal tout ce que j’avais fait cet été là, avant de me tourner vers mon « plan B », qui était en fait mon « plan A », soit de faire un cours de soudure à l’école secondaire Highland Park à Ottawa. L’idée était qu’un jour, je pourrais aller à New York comme mon père Joe et travailler à la construction des gratte-ciels du Big Apple alors que les autochtones comme nous avions la réputation de ne pas avoir peur des hauteurs. Sinon, il y avait toujours la possibilité de m’engager dans l’Armée.
Mon père a plus tard travaillé à l’entretien de la patinoire du canal Rideau l’hiver, descendant de sa charrue pour venir me voir pratiquer au Centre municipal d’Ottawa quand je jouais pour les Canucks et qu’on se préparait à affronter les Sénateurs à leur retour dans la LNH, mais ça, c’est une autre histoire.
Comme mon père, il fallait que je trouve un moyen de gagner ma vie, alors que ma première fille, Ashley Ann, venait de débarquer dans ma famille. La première de mes huit enfants, on en parlera bien.
Ma mère Giselle s’inquiétait que je fasse des mauvais coups pendant que je n’étais pas à l’école, alors que j’habitais dans un petit appartement près du parc Lansdowne, dans le quartier Glebe d’Ottawa. Elle a donc parlé au père d’un de mes anciens coéquipiers, Michel Branchaud, pour voir s’il ne pourrait pas me trouver une équipe de hockey avec laquelle jouer, pour meubler mes temps libres.
Louis Branchaud, qui m’avait enseigné au secondaire, lui a mentionné que Michel s’était taillé un poste avec les Hawks de Hawkesbury, de la Ligue centrale junior A. Comme l’équipe en arrachait, amorçant la saison avec huit défaites de suite, elle a remercié son entraîneur Barry Rice. Alors qu'il avait des aspirations de se rendre à la LNH comme entraîneur, il a été remplacé par l’entraîneur des gardiens, un certain Bob Hartley. Il allait plus tard gagner la coupe Stanley avec l'Avalanche du Colorado, au cours d'une longue carrière dans la LNH, mais dans ce temps-là, il travaillait surtout dans une usine qui fabriquait des pare-brises pour les voitures.
« Le président de l’équipe était mon entraîneur à la balle molle l’été et il pensait que je pourrais faire le travail comme entraîneur-chef même si je n’avais aucune expérience. Je lui avais dit en premier que je ne pouvais pas, que je n’avais pas le temps avec mon travail et deux jeunes enfants. Il m’a finalement demandé de prendre le club en charge pour deux semaines en attendant que le remplaçant visé puisse s’amener. Mais ce n’était même pas vrai qu’il y avait quelqu’un d’autre, il voulait que je sois son coach », raconte Hartley aujourd’hui.[BM1]
Il m’a donc invité pour quelques séances d’entraînement. Quand je jouais à Maniwaki, on ne pratiquait à peu près jamais, on ne faisait que jouer. Lorsque j’ai eu mon essai avec les Hawks, je ne comprenais rien lors des séances d’entraînement. Des exercices de deux contre un ou de trois contre deux, je n’avais jamais fait ça avant. Faire de l’échec-avant, se replier, je ne comprenais rien à tout ça !
J’ai cependant vite réalisé qu’il fallait que je me trouve un rôle dans l’équipe, et j’ai décidé que celui d’homme-fort me conviendrait bien, alors que j’étais plus grand et plus gros que la plupart des joueurs dans la ligue.
J’ai commencé comme défenseur, mais je faisais aussi des présences sur le quatrième trio avec Michel. Je ne me souviens pas de la première fois où j’ai lâché les gants, mais c’était lors d’un de mes premiers matchs. Ça s’était bien passé. Je ne m’étais jamais battu sur la glace avant, ce n’était pas permis au hockey mineur, encore moins au niveau B. Mais comme adolescent, j’avais plusieurs amis avec qui on faisait de la ‘wrast’, on se chamaillait un peu comme à la lutte. Ma première saison dans le junior A, c’est pas mal tout ce que j’avais besoin de faire, renverser mon adversaire. C’est plus tard que j’ai pris des leçons de boxe et que j’ai développé mon style pas mal ouvert, ce qui a commencé à donner des combats spectaculaires une fois rendu avec le Titan de Laval.
Ça s’est assez bien passé pour moi en débarquant dans le vestiaire alors que les joueurs de l’équipe appréciaient que je sois prêt à aller à la guerre avec eux, et que je n’accepterais pas qu’un adversaire abuse d’un de mes coéquipiers.
Bob a vu que j’étais prêt à tout faire pour aider l’équipe, et il n’a pas hésité à m’aider de toutes sortes de façon. Au début, j’allais aux parties en jeans et en t-shirt blanc, mais comme le club avait un code vestimentaire et que les autres joueurs se demandaient pourquoi je ne le respectais pas, il a approché une mercerie de Hawkesbury pour m’obtenir un pantalon et une chemise plus propres, vu que je n’avais pas vraiment les moyens de me payer ça.
« Je me souviendrai toujours du soir où Gino est arrivé dans mon bureau avant un match avec ses vêtements propres, mais sa chemise et son pantalon étaient pleins de sang ! Je pensais qu’il avait tué quelqu’un, mais il était tout excité et m’a dit, viens dans le parking. Je l’ai suivi et il m’a montré que dans le coffre de l’auto de son père, il y avait un chevreuil. Ils l’avaient vu sur la route entre Maniwaki et Hawkesbury et ils s’étaient arrêtés pour le chasser. Gino avait fait son réchauffement en allant le ramasser et en l’éventrant. » -- Bob Hartley.
Je n’ai pas exactement le même souvenir, je pense qu’on avait effectivement ‘tiré’ un chevreuil, puis qu’on l’avait nettoyé, mais on l’avait laissé près de la route et on était retourné le ramasser sur le chemin du retour à la maison. En tout cas, qu’importe, il a fallu que Bob demande à son ami Denis Charlebois, de la Mercerie Maître Charles, de m’habiller en propre à nouveau !
Je n’avais pas le meilleur équipement pour commencer ma carrière d'hockeyeur non plus. Les Hawks étaient une équipe avec peu de moyens, les foules à l’aréna qui porte aujourd’hui le nom de Bob Hartley n’étaient pas très imposantes vu que l’équipe n’était pas très bonne. Il y avait un bingo le lundi soir qui permettait à Bob d’acheter une demi-douzaine de bâtons -- trois droitiers et trois gauchers -- et du ruban gommé (du ‘tape’ en jargon de hockey) que tous les joueurs de l’équipe allaient se partager. Après un match à domicile le vendredi soir, il allait obtenir un peu d’argent pour répéter la même commande le samedi matin en allant à la pro shop de l’aréna.
Le club n’avait donc pas d’argent pour acheter des patins aux joueurs, comme c’est devenu la norme depuis, au hockey junior majeur en tout cas. Moi, je m’étais rapporté au club avec des patins Lange, une marque connue à l’époque parce que l’extérieur en plastique du patin comportait une bottine à l’intérieur pouvant être enlevée. Les miens étaient à peu près deux points trop grands pour moi, parce que j’avais le pied trop large pour des patins à ma pointure !
« Notre soigneur à l’époque est venu me voir à un moment donné pour se plaindre qu’on passait des tonnes de mouchoirs Kleenex pour Gino, qui en demandait des dizaines à chaque entracte pendant les matchs. Quand je lui ai demandé pourquoi il faisait ça, Gino m’a expliqué que c’était pour mettre dans les bouts de ses patins trop grands pour lui. » --Bob Hartley.
J’arrivais quand même à me rendre où je voulais aller avec ces patins trop grands pour moi. En ligne droite, ça allait bien.
Je me suis amélioré au fil de la saison, comptant deux buts et ajoutant deux passes pour aller avec mes 167 minutes de punition en 40 parties. Notre équipe a présenté une fiche de 9 victoires contre 47 défaites, mais alors qu’elle se faisait varlopper en début d’année avant mon arrivée, et surtout celle de Bob derrière le banc, on arrivait à gagner des matchs ici et là et nos revers étaient par des pointages plus serrés.
À un moment donné en décembre, l’équipe devait réduire son nombre de joueurs sous contrat de 23 à 21 pour respecter la réglementation de l’Association du hockey du district d’Ottawa. C’était entre moi et deux autres gars pour être retranché et Bob nous a demandé si on était malheureux avec notre rôle dans l’équipe, ce qui lui aurait simplifié la vie pour prendre sa décision si ça avait été le cas.
Moi, je tenais à rester, et je l’ai montré en me présentant à l’aréna tôt un samedi matin, bien avant l’heure de notre pratique. Le responsable de l’aréna a téléphoné à Bob chez lui pour lui demander ce qu’il devait faire, et il lui a dit de m’ouvrir la chambre et d’allumer les lumières de l’aréna. Quand Bob est arrivé, il est venu me voir alors que je faisais du bande à bande sur la glace et il m’a demandé ce que je faisais là. Je lui ai répondu que je voulais vraiment rester avec les Hawks, que je ne voulais pas qu’il me coupe.
Il ne l'a pas fait et Bob m’a dit plus tard : « Si tu travailles fort pour moi, je vais travailler fort pour toi et tu vas être repêché dans la LHJMQ. » J’ai tenu mon bout du chemin et il a tenu le sien.
Comme le Titan de Laval jouait régulièrement des matches locaux le lundi soir, Bob allait les voir jouer à l’occasion au Colisée de Laval, qui était surnommé la House of Pain. En deuxième moitié de saison, il a contacté l’un des propriétaires de l’équipe, Jean-Claude Morrissette, et lui a parlé de moi. « J’ai un vrai de vrai tough, un autochtone. Un bon kid, facile à coacher. Bon patineur, mais on n’a pas d’argent pour lui acheter une paire de patins », lui a-t-il dit.
L’équipe a envoyé son dépisteur de l’Outaouais à un de nos matchs à Kanata, mais son rapport n’était apparemment pas très élogieux alors qu’on avait perdu 7-2.
« Il a dit que Gino ne compterait pas trois buts dans une saison, incluant lors des pratiques. Pas mal insultant, hein!. J’étais un entraîneur à sa première année et je ne pouvais donc pas dire grand-chose. Mais plus tard, j'ai rappelé M. Morrissette et je lui ai dit qu’il devrait venir voir jouer Gino lui-même. Quand il est venu, j’ai ‘pompé’ Gino comme il le faut pour le match et il frappait tout ce qui bougeait. Après le match, M. Morrissette est venu me voir tout de suite et il voulait lui parler et le repêcher. C'est comme ça que ma relation a débuté avec la famille Morrissette. » -- Bob Hartley
Quelques semaines plus tard, lors du repêchage de la Ligue de hockey junior majeur du Québec de 1988 tenu à l’aréna Maurice-Richard, le Titan a utilisé son choix de septième ronde pour dire au micro : « Le Titan sélectionne, des Hawks de Hawkesbury, Gino Odjick ».
Il paraît que des dirigeants d’autres équipes se sont moqués de leur sélection. Ils ne perdaient rien pour attendre.
Marc, l’histoire est trop bonne pour ne pas être écrite. Il faut que tu fasses la suite!